Pascal Bataillard, président de notre association et maître de conférences à l’Université Lumière de Lyon II, avait décidé de consacrer cette année sa conférence à un personnage qui a joué un rôle notable durant le séjour de Joyce à Paris, de 1920 à 1940 : Léon-Paul Fargue. Il ne s’agit pas, évidemment, de procéder à une comparaison, tant le génie créateur et novateur de Joyce apparaît écrasant. Mais plutôt d’éclairer, d’une manière indirecte, les mœurs littéraires du Paris de l’époque, la fréquentation et les pratiques des salons et des cafés, le rôle des revues, la création de mouvements ou d’écoles (c’est l’époque des surréalistes), les amitiés et les antipathies des écrivains entre eux, etc. Ce monde – avec lequel Joyce, volontairement, tient à garder ses distances –, il ne peut complètement l’ignorer. L’édition et la publication en France d’Ulysse, pour des raisons de censure dans les pays anglo-saxons, l’oblige à des compromis et à une participation minimale.
C’est dans ce contexte qu’il fait la connaissance de Fargue, avec qui il sympathise d’emblée. Pascal Bataillard en dresse un portrait haut en couleurs, émaillé d’anecdotes qui font comprendre pourquoi Joyce a pu être séduit. Fargue a quelque chose d’inclassable. Né dans une famille aisée, d’un père ingénieur de Centrale reconverti dans la céramique, mais qui avait eu le malheur de succomber aux charmes d’une couturière et qui dut attendre trente ans avant de régulariser la situation, Fargue gardera de son enfance une mélancolie et une hypersensibilité qui le poussent à chercher refuge dans les livres. Après des études brillantes – il a eu Mallarmé comme professeur d’anglais au lycée et il a fréquenté la khâgne de Henri-IV –, il abandonne l’idée d’entrer à l’École Normale et devient une sorte de touche-à-tout qui s’essaie au piano, à la peinture et à la poésie. Dans ce dernier domaine, il affirme un talent incontestable.
C’est ainsi qu’à 20 ans il publie ses premiers poèmes dans des revues à la vie éphémère, en attendant de devenir l’homme des revues prestigieuses : Commerce ou Le Mercure de France. Sa rencontre en 1909 avec Valery Larbaud – qui réussit à lui arracher son Tancrède et à le publier en 1911 à… Saint-Pourçain-sur-Sioule – lui permettra plus tard d’approcher Joyce.
Fargue n’a pas, évidemment, la stature littéraire de Joyce. Mais Pascal Bataillard montre – en examinant la manière dont il parle de Verlaine ou de ses pérégrinations de noctambule dans Le Piéton de Paris –, que l’attention qu’il prête au langage et aux mots qui tentent de saisir le réel n’est pas sans rappeler les tentatives du jeune Joyce avec ses épiphanies.
Une belle conférence qui s'est s’achevée par une discussion passionnée sur les enjeux essentiels que Pascal Bataillard avait clairement formulés.
Gérard Colonna d'Istria